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Traduction et rédaction : agences et bureaux traditionnels ou ubérisation tous azimuts ?

Après les taxis et la quasi-totalité des services à la personne, de nouvelles plates-formes de services transforment radicalement les métiers linguistiques traditionnels.

Avec un peu de recul, il est aujourd’hui possible de faire la part des choses. On peut ainsi tracer une ligne de plus en plus claire entre attrait de la nouveauté et réel apport sur l’essentiel : assurer aux clients les meilleures prestations au meilleur coût, et aux linguistes une activité motivante, fédératrice de talents.

Le Web 2.0 a émergé durant la seconde moitié des années 2000, apportant l’interaction entre sites et utilisateurs sur toutes sortes de supports (ordinateurs, smartphones, tablettes… et même montres et autres objets connectés). Plus récemment, avec l’accélération et l’omniprésence des réseaux, un nouveau type d’acteur est apparu sur le marché des services, dont le géant américain Uber est devenu l’emblème au point de déclencher l’apparition du néologisme « uberisation ».

Mais que signifie « uberisation » au juste ?

Si ce nouveau mot a été inventé, et est utilisé tous les jours, c’est bien qu’il était nécessaire pour décrire un phénomène nouveau. Ou au contraire  pas tant que ça ?

Le terme « apporteur d’affaires », bien plus ancien et quasiment désuet aujourd’hui renvoie à une réalité assez similaire sur le fond. On retrouve dans tous les cas un même système à trois pôles :

  1. Un client qui a besoin d’une prestation de service,
  2. Un ou plusieurs prestataires en capacité de délivrer ce service
  3. Entre les deux, un « facilitateur » qui les met en relation et rend possible leur transaction.

Chacun des trois a sa raison d’être et sa logique. Chacun déploie ses efforts pour réussir au mieux une action utile au bien commun, et donc mérite une juste rémunération.

  • Le client obtient le meilleur service possible, favorisant au mieux son activité et ses projets,

  • L’apporteur d’affaires doit être rétribué pour le temps et les efforts consacrés à la mise en relation,

  • Le prestataire doit pouvoir déployer la meilleure qualité de service possible dans des conditions de rentabilité pérennes.

Une économie de l’attention

Or, qu’est-ce qui a changé avec l’uberisation ? Tout simplement la puissance de l’apporteur d’affaires, qui se retrouve en position dominante et contrôle l’ensemble de la transaction.

Les raisons d’un tel bouleversement sont très anciennes dans leur nature, aussi bien techniques qu’économiques. Le même phénomène s’est produit dans l’Histoire lorsque, finançant les guerres, les banquiers sont peu à peu devenus plus puissants que les belligérants eux-mêmes…

Aujourd’hui, l’enjeu actuel du marketing et de la publicité est ce qu’on appelle une « économie de l’attention ». Toute personne ou entité doit, pour réussir, être vue en premier et bénéficier d’une cote émotionnelle positive (ou goodwill) maximale.

C’est cette performance que doivent impérativement accomplir les uberisateurs : être plus visible que les prestataires linguistiques, mais aussi suffisamment puissant pour devenir indispensable aux clients eux-mêmes. Une double dépendance est ainsi créée.

Organiser, c’est contrôler…

En réussissant une telle démarche, les entreprises de type Uber se trouvent instantanément enrichies d’une énorme base de données :

  • Des clients potentiels pour les linguistes,

  • Des prestataires sélectionnés pour les clients.

… chaque moitié de cet ensemble étant attirée par l’autre !  Cette masse de données complémentaires grossit toute seule grâce à une position prééminente sur les moteurs de recherche. Elle devient même alors un « actif » commercialisable sur le marché du big data.

Plus encore, ces entreprises intègrent de plus en plus des actions autrefois propres au client ou au prestataire de services : l’intelligence artificielle localise le client, anticipe ses besoins, l’assiste dans la démarche de mise en relation et jusqu’au paiement.

Inversement, elle sollicite et fait travailler gratuitement le prestataire comme le client. Les prestataires s’inscrivent d’eux-mêmes, créant une base de données de linguistes qualifiés. Les clients assurent la sélection des prestataires, l’organisation du travail et l’évaluation des prestations, émettant des commentaires et informant les autres clients.

Des écosystèmes

Parfois, des formations sont proposées aux linguistes pour augmenter leur « adéquation » aux attentes des clients. Pour la partie financière également, l’intégration est de mise : le client paie directement la plate-forme, qui se charge de rémunérer les prestataires. Certaines plates-formes offrent même aux deux parties de créditer leur compte sur leur site et d’y conserver leurs fonds, se comportant un peu comme des banques…

L’objectif général est dans tous les cas le même : créer un « écosystème » dont clients et linguistes doivent sortir le moins possible, sur le modèle marketing dit du lock-in, souvent traduit par « enfermement propriétaire »

Une approche apparemment optimale…

On peut penser que le client a tout à gagner dans cette évolution — en tout cas dans les intentions affichées : clarté et compétitivité des tarifs, transparence des prestations et optimisation de la qualité grâce à des procédures d’évaluation systématiques…

A priori, comme on disait dans les années soixante en parlant de tout ce qui est nouveau : « c’est l’avenir » !

Vraiment ?

Quand on songe à Uber, par exemple, l’image sous-jacente (et le plus souvent exagérée, voire fausse) est le chauffeur « artisan  taxi ». Il a payé sa licence le prix d’un petit appartement et facture, afin de pouvoir assumer son crédit, l’équivalent d’un repas au restaurant pour la moindre course. Ouf ! Merci à notre chère évolution numérique de nous en délivrer !

Désormais, quelle commodité que notre téléphone portable soit ainsi devenu la télécommande de notre vie. Avec en plus la possibilité de donner son avis, de valoriser tout effort et de sanctionner tout manquement. Pour le plus grand bien de ce que l’intermédiaire tout puissant appelle sa « communauté d’utilisateurs » !

Alors, où est le problème ?

Ce système présente deux inconvénients majeurs pour les clients… et les prestataires :

Les plates-formes, en faisant ainsi écran (c’est le cas de le dire) entre les linguistes et leurs clients, ajoutent un intervenant dans la chaîne de valeur. En échange de cette position dominante, les plates-formes mettent en avant deux pseudos-avantages :

    • D’une part la sélection en amont des professionnels les mieux adaptés. Or, la sélection serait bien mieux assurée par les moteurs de recherche, beaucoup plus puissants. Ces moteurs offrent un choix maximal, et surtout plus ouvert. De plus, ils débouchent sur les sites Web des prestataires, ce qui leur laisse bien plus d’espace et d’originalité pour mettre en avant leurs atouts !

La principale performance des plates-formes est donc juste… de se placer aux premières places des moteurs de recherche. Pour offrir ensuite, une fois les utilisateurs piégés à l’intérieur, des services moins bons et moins personnalisés que ceux d’un véritable site d’agence.

    • D’autre part, en aval, l’évaluation des prestations par les clients eux-mêmes. Or ces évaluations n’apportent pas de garantie réelle de qualité, étant un système trop souvent et trop aisément contourné — et dans les deux sens !

Dans la pratique, il n’existe qu’une seule évaluation vraiment fiable : se faire recommander un prestataire par une source sûre (collègue, ami, client, fournisseur…) et, ensuite, se lancer dans un test de collaboration en situation réelle. Un vieux proverbe le dit bien mieux encore qu’un long discours : « c’est au pied du mur qu’on voit le maçon »…

Le (vrai) prix à payer…

Par ailleurs, les plates-formes et autres sites de mise en relation sans réelle valeur ajoutée ont un effet bien plus pervers. Ces intermédiaires se justifient auprès des clients en prétendant leur apporter, à qualité égale, des prestations moins chères et, aux yeux des linguistes, en leur promettant des flux de travaux ininterrompus.

Or, si l’on ajoute la pression des prix à la baisse et le prélèvement d’un intermédiaire supplémentaire, les linguistes se retrouvent avec soit des rémunérations  réduites à peau de chagrin, soit des journées de travail épuisantes — ou même les deux !

Pour les clients, à terme, une telle situation ne peut mener qu’à une baisse de la qualité moyenne des prestations avec, accélérant ce mouvement, une désaffection des meilleurs éléments qui se tourneront vers d’autres activités.

À moins que…

 

 

Une perspective optimiste, cependant…

 À moins que, comme souvent dans l’histoire humaine, les déséquilibres créés par un bouleversement ou une innovation ne finissent par se rééquilibrer au sein d’un nouveau système, d’une nouvelle organisation.

Ainsi, on assiste aujourd’hui à rien d’autre qu’un simple retour, sous forme virtuelle… des anciennes entreprises. Celles-ci rattrapent, en tant que prestataires à prix cassé, des salariés ayant fui chez eux avec l’émergence de l’ordinateur individuel et de l’Internet. Ces innovations, au début des années 90, ont en effet atomisé  la fameuse « Galaxie Gutenberg » trente ans après sa brillante théorisation par Marshall McLuhan dans les années 60.

Spécialité : n’importe quoi

L’époque était alors favorable à la floraison de petites entreprises fondées sur un très faible capital matériel et humain. Quelques ordinateurs, une imprimante, une petite équipe ou même une seule personne et, et le tour était joué ! Les entreprises clientes préféraient en effet, avec la hausse des charges sociales, recevoir des factures que d’émettre des fiches de paie.

Aujourd’hui, l’enjeu est tout simplement… d’être visible sur une toute petite zone en haut à gauche de la page des résultats Google (appelée le « Triangle d’or») !

Ensuite, une base de données, quelques étoiles, un bon site Web bien ergonomique avec un accès mobile et l’on devient un spécialiste de…. n’importe quoi.

Plus qu’à trouver le livreur pizza, le chauffeur, la femme de ménage, la baby-sitter, le traducteur, le rédacteur, le juriste, le médecin même… Ou plus généralement tout type de produit ou service qui pourra tenir à notre place les promesses qu’on a faites !

Assumer en interne la chaîne de qualité

Ce système a donc une limite évidente : il est fondé sur de fausses promesses (pour les clients comme pour les prestataires), et par conséquent voué, à terme, à évoluer pour se corriger.

Petit à petit, ces ogres data-boulimiques devront, pour que leurs utilisateurs  soient satisfaits mieux assumer en interne une chaîne de qualité personnalisée. Dans cette chaîne, chaque client et prestataire sera unique, et non un obscur maillon d’une braderie de prestations sous-évaluées, et donc sous-effectuées.

Cela signifie que les plates-formes d’uberisation vont devoir se transformer… en agences.

Justement, c’est que nous sommes déjà, chez TRADUC’TIK depuis 1992 : une agence, votre agence si vous souhaitez nous essayer et parcourir ensemble les chemins de votre réussite !

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